Affaire des assassins de la Villette (Lyon, 1898)

Le 5 décembre 1898, Évariste-Joseph Cyrille Nouguier, un proxénète âgé de vingt ans, sort de la prison Saint-Paul à Lyon après avoir purgé sa huitième condamnation. Dès le 8 décembre, ayant réussi à réunir rapidement plusieurs comparses, il commet un vol chez M. Bouvier, cafetier place de Choulans.

Portrait anthropométrique de Nouguier et extrait de son testament illustrant l'article d'Edmond Locard, "L'identification des criminels par les parasites" paru le tome 563 de Détective, 10 août 1939, p. 5, Collection Détective/Criminocorpus
Portrait anthropométrique de Nouguier et extrait de son testament illustrant l’article d’Edmond Locard, « L’identification des criminels par les parasites » paru le tome 563 de Détective, 10 août 1939, p. 5, Collection Détective/Criminocorpus

Le jeudi 22 décembre, madame Foucherand, la propriétaire d’un café situé au 14 rue de la Villette dans le quartier de la Part-Dieu à Lyon, connue sous le nom de « la petite vieille », est trouvée assassinée dans son établissement. La veuve âgée de cinquante-six ans a été assommée et étranglée au cours de la nuit précédente. Des matières fécales sont trouvées sur le lit de la victime, et un paquet de raves autour de sa tête. Des billets de banque et de l’or ont été pris dans une armoire.

Le samedi 24 décembre, trois hommes de la bande sont arrêtés : Aimé Barrel, trente-trois ans, manœuvre, 43, rue Chaponnay à Lyon, Hermann Pareti, vingt-trois ans, peintre-plâtrier, domicilié à Lyon et Lucien-Benoît Motte, vingt-trois ans, tonnelier, 71 rue Neuve-de-la-Villardière à Lyon. Barrel dénonce Nouguier et Gaumet comme étant les assassins, les trois autres ayant participé seulement au vol.

Les jours suivants, de nombreux vols avec effraction sont commis en divers lieux de la ville de à Saint-Étienne. Le mardi 27 décembre à une heure du matin, la police stéphanoise est informée qu’un repris de justice nommé Pierre Sagnard, trente ans, sans profession, domicilié au 56 rue Sainte-Barbe à Saint-Étienne, a été vu en possession de marchandises provenant de ces vols. Il se trouve dans une maison de tolérance de la rue Saint-Pierre en compagnie de deux autres individus qui exhibent argent et bijoux. Le chef de la Sûreté Freyburger se rend rue Saint-Pierre avec six inspecteurs et poste deux groupes à chaque extrémités de la rue.

Les trois malfaiteurs sortent de l’établissement, mais, Sagnard aperçoit l’un des agents et ils ouvrent le feu. Une fusillade d’un quart d’heure s’ensuit, au cours de laquelle quarante-sept balles sont échangées sans que quiconque ne soit tué. Un agent réussit à capturer Sagnard. Les deux autres malfaiteurs s’enfuient vers la place du Peuple où leur trace est perdue. Annet Gaumet est pris dans la matinée au débit Grange, place Chavanelle, au terme d’une longue battue. Gaumet, qui n’oppose aucune résistance, est identifié aux bureaux de la Sûreté grâce aux tatouages décrits sur sa fiche anthropométrique diffusée par le Parquet.

Le jeudi 29 décembre 1898 vers six heures du matin, la police de Sûreté arrête à Lyon un sixième complice des assassins de Foucherand, Édouard-Philibert Duthion, vingt-cinq ans, garçon de café, alors qu’il ouvre l’établissement de son père au 13 place du Pont à Lyon. Le juge Benoist s’est laissé convaincre de lancer un mandat d’arrêt sous la prévention de complicité d’assassinat contre celui-ci. Lors de leur premier interrogatoire, Barrel, Pareti et Motte lui avaient déclaré qu’ils étaient six avant le meurtre, mais seulement cinq au moment des faits. Or plusieurs témoins affirment avoir vu six hommes dans divers comptoirs du cours Lafayette après le meurtre. De plus, Barrel, Pareti et Motte avaient reconnu une chemise ensanglantée retrouvée à l’auberge où la bande a passé la nuit après l’assassinat comme appartenant à Nouguier. Or la pièce à conviction est reconnue par un chemisier du quartier de la Guillotière qui avait facturé ses services à Édouard Duthion. Enfin, Duthion était déjà connu des services de police puisqu’il avait fait un mois de prison préventive pour avoir participé à un important vol de titres organisé par Cuisinier, un autre chef de bande ami avec Nouguier.

Les audiences du procès des assassins de la Villette débutent devant la cour d’assises du Rhône le 28 novembre 1899. Les témoins, à charge comme à décharge, sont au nombre de soixante-quatorze. Le verdict, affirmatif contre tous les accusés, est rendu le 1er décembre 1899 au bout d’environ deux heures de délibérations. Barrrel, Pareti, Duthion et Motte sont condamnés chacun à cinq de prison et dix ans d’interdiction de séjour, le jury n’ayant retenu que les vols pour lesquels ils étaient poursuivis. Sagnard est condamné à trois ans de prison et à cinq d’interdiction de séjour. Nouguier et Gaumet sont condamnés à la peine de mort. Le 9 février 1900 au matin, les bois de justice sont dressés à cinquante mètres de la prison Saint-Paul ; Nouguier et Gaumet sont exécutés le 10 février à 6h30 par Anatole Deibler.

Ce procès d’assises qui s’est déroulé en pleine affaire Dreyfus est présenté par Edmond Locard comme « un cas illustre d’identification d’un criminel par les parasites intestinaux (( Edmond Locard, La science contre le crime. V. Les Porte-veine, Détective, tome 72, 13 mars 1930, p. 11, consultable en ligne, collection Détective/Criminocorpus )) ». En effet, le professeur Alexandre Lacassagne a pu identifier Annet Gaumet comme l’un des six assassins de Foucherand grâce à l’analyse de la présence d’un parasite dans les matières fécales trouvées sur le lieu du meurtre. Ses notes et observations médico-légales, publiées dans le seizième volume des Archives de l’anthropologie criminelle, sont consultables dans la bibliothèque de Criminocorpus : Alexandre Lacassagne, Affaire de la Villette. Importante application de la recherche d’oxyures lombricoïdes, Archives de l’anthropologie criminelle, tome 16, 1901, p. 33-42.